Louise A. & Alice K.
A bord du Marion, il n’est pas rare d’entendre le mot « goulotte ». En effet, cet objet à la sonorité plutôt amusante est utilisé au quotidien par les scientifiques pour l’archivage des carottes. Suscitant l’intérêt d’un certain nombre à bord, nous proposons un aperçu de ce mot, de ses multiples usages à la création d’un champ lexical unique, en passant par son historique qui saura certainement vous étonner !
La « goulotte », du latin gula, ae, nom féminin (1 siècle avant J.C. ; Cicéron) signifiant« gosier, gorge », a pour synonyme « goulet » ou encore « rigole » [1, 2].
Elle prend la forme d’une gouttière aux bords anguleux, souvent en plastique mais pouvant également être en métal et est utilisée à différentes fins dans le milieu du bâtiment. Elle permet le passage et la protection de câbles (électrique, téléphonique, multimédia et informatique) voire des fluides (eau, gaz, air comprimé) mais aussi de supporter les dispositifs d’éclairage ou de sécurité (éclairage, sirène, etc.). Elle est alors appelée « goulotte électrique ».
En architecture, la goulotte est utilisée pour définir un conduit d’écoulement des eaux taillé dans la pierre destiné à faciliter l’écoulement des eaux de pluie par les gargouilles [3].
Ce mot est également repris en alpinisme pour définir une ligne d’escalade qui remonte une paroi semblable à une cheminée rocheuse étroite, recouverte de neige ou de glace [4].
Enfin plus récemment, dans le milieu scientifique, la goulotte est reprise par les paléoclimatologues collectant des carottes de sédiments marins pour définir le contenant en pvc, s’apparentant à la goulotte électrique et dans lequel le sédiment est disposé et conservé.
L’origine précise de l’utilisation du mot goulotte est difficile à déterminer.
En revanche, le concept de goulotte, en tant que canal permettant l’écoulement de liquide, existe depuis plusieurs siècles. Au sens architectural, son utilisation est donc ancienne bien que l’apparition du mot en tant que tel reste relativement récente. D’abord synonyme de rigole, de caniveau voir de gouttière, on trouve le mot goulotte employé spécifiquement dans des écrits architecturaux du 18ème siècle [5]. On le retrouve par exemple employé par Charles-Joseph Lamoral (7ème prince de Ligne) dans un écrit sur les jardins et l’urbanisme, Coup d’œil sur Beloeil (1781).
Il est important de noter qu’il n’y a sûrement pas eu un.e inventeur.euse notoire de la goulotte. En effet, son utilisation dans le domaine de la construction est le résultat de l’évolution des techniques au fil du temps.
Toujours à cette période, en plus d’être un élément architectural supportant le transport de fluides, la goulotte désignait également un conduit permettant le transport de matériaux, par exemple de grains. L’affaire des Goulottes (Douai, 1791) expose bien l’utilisation de goulottes à cette fin [6, 7]. En 1791, trois années se sont écoulées depuis la fin de la Révolution française et les classes populaires sont affectées par des difficultés économiques et souffrent de la famine ainsi que des épidémies. A Douai, la population qui redoute l’envolée des prix du blé et craint une pénurie entreprends de détruire les goulottes qui permettent alors aux marchands de transvaser les grains, des entrepôts vers les bateaux de commerce. Les douaisiens et les douaisiennes sont aidé.es des gardes nationaux, eux-mêmes autorisés par la municipalité qui pense ainsi s’assurer un meilleur contrôle sur les flux sortant de grains. Les 16 et 17 mars, les tensions à leur apogée mènent à plusieurs émeutes. Ces dernières conduiront aux pendaisons d’un garde national et d’un marchand : Nicolon.
Un peu plus tard, au cours du 19ème siècle, le mot goulotte est utilisé dans un contexte plus familier pour désigner la gueule via l’ajout du suffixe –otte. Comme le montre cet extrait du fameux Les Misérables (1862) de Victor Hugo :
« Il y avait à Faverolles, pas loin de la chaumière Valjean, de l’autre côté de la ruelle, une fermière appelée Marie-Claude ; les enfants Valjean, habituellement affamés, allaient quelquefois emprunter au nom de leur mère une pinte de lait à Marie-Claude, qu’ils buvaient derrière une haie ou dans quelque coin d’allée, s’arrachant le pot, et si hâtivement que les petites filles s’en répandaient sur leur tablier et dans leur goulotte. »
C’est ensuite avec l’avènement de l’électricité dans les technologies modernes, dès la fin du 19ème siècle, que l’histoire de la goulotte prend un tournant majeur. En effet, la goulotte va ensuite être utilisée dans le domaine de la construction pour le câblage : organiser, conduire et protéger les câbles électriques. Au fil du temps, des améliorations ont été apportées et de nouveaux matériaux, comme le PVC, ont été utilisés pour créer des goulottes plus efficaces et plus adaptées aux besoins spécifiques de l’industrie électrique. Le développement de la goulotte est maintenant l’apanage d’une multitude d’entreprises industrielles. De nos jours, la praticité et l’ergonomie des goulottes en PVC est donc bien établie. Les qualités de conditionnement qui leurs sont associées ont ainsi conduit à leur utilisation, d’une façon détournée, dans le domaine de la paléoclimatologie comme l’illustre le foisonnement des goulottes ici, à bord du Marion Dufresne.
Vous l’aurez sans doute compris, sur la campagne Amaryllis, la goulotte suscite la curiosité. A force de manipulation des goulottes sur le pont, c’est tout un lexique qui a été imaginé pour décrire les différentes actions liées à son utilisation. Découvrons sans tarder un aperçu des mots les plus couramment utilisés ainsi qu’un manuel des bonnes pratiques de la goulotte à bord.
* La totalité des mots du lexique a été inventée, à l’exception du mot « goulotte », mais chacun possède un sens bien défini permettant la compréhension du manuel. *
Lexique :
- Goulotte : élément de pvc permettant le stockage du sédiment marin.
- Goulotant.e : découpeur.euse et fabriquant.e de goulottes.
- Goulottière.er : personne en charge de laver les goulottes.
- Goulottage : action de laver la goulotte.
- Goulotterie : atelier de nettoyage des goulottes.
- Goulothèque : lieu de stockage des goulottes propres dans la goulotterie.
- Dégoulotter : extraction du sédiment de la carotte (CASQ) au moyen d’une goulotte.
- Goulottable : capacité d’un sédiment à pouvoir être dégoulotter. Inverse : agoulottable.
- Engoulotter : fermeture de la goulotte une fois remplie de sédiment.
- Regoulotter : réitération du processus d’engoulottement à la suite d’une erreur d’exécution.
- Goulosphère : tout l’univers associé à la goulotte.
- Goulophile : membre de la communauté d’intérêt des goulottes. Passionné.e de tout ce qui se rattache à la goulosphère.
- Goulotisme : pathologie rare, déviance obsessionnelle lié à un intérêt démesuré pour les goulottes. Ex : goulophagisme, goulophobie, goulosité, goulimie, goulophobie etc.
- Goulâtre : de couleur goulotte.
- Goulostalgie : sentiment de regret et de nostalgie pouvant survenir après une exposition prolongée et révolue à la goulosphère.
- Goulotting : salon de la goulotte ou réunions ayant pour thème principal la goulotte (plus rare).
- Gouloture : coupure liée à la manipulation des goulottes. Peut mener à une goulotose en cas de blessure non traitée et aggravée.
Manuel des bonnes pratiques :
La goulotte intervient dans le processus d’archivage des carottes de type CASQ (carottage par gravité). Ce type de prélèvement fait habituellement une dizaine de mètres et l’on peut y prélever jusqu’à 7 séries de sédiments identiques. Une goulotte standard faisant 1.50m de long, chaque nouvelle carotte CASQ nécessite l’utilisation d’environ 40 goulottes.
A la demande des équipes scientifiques, les goulottes sont découpées dans l’atelier en tronçons de 1.50m par le goulotant et acheminées sur le pont arrière du bateau. Elles sont alors nettoyées à la goulotterie par la.le goulottière.er. C’est : le goulottage. Une fois propre, les goulottes sont stockées dans la goulothèque. Une observation rapide du sédiment prélevé sur le fond marin permet de savoir si celui-ci est goulottable. En effet, la présence d’eau dans la partie supérieure rend parfois compliqué le dégoulottement. Une fois l’analyse effectuée, le sédiment est dégoulotté grâce à la goulotte. Celle-ci est alors engoulottée pour que le sédiment soit bien préservé par la suite.
Préventions :
La manipulation des goulottes peut entrainer des blessures bénignes telles que des goulotures. Cependant si la blessure n’est pas soignée à temps, des complications peuvent survenir comme des goulotoses.
Une exposition prolongée aux goulottes peut également impacter l’équilibre mental. Des cas de goulotisme sont observés de plus en plus fréquemment à bord et quelques scientifiques ont fait part de leur état de goulostalgie en redescendant à terre.
L’utilisation grandissante de la goulotte a mené à l’établissement progressif d’un softpower. En effet la goulosphère s’est fait connaitre notamment grâce à l’organisation de goulottings rassemblants un grand nombre de goulophiles. Par ailleurs le mot « goulâtre », ancien néologisme, vient récemment d’être accepté par l’Académie française. Cet adjectif définissant une couleur.
Le saviez-vous ?
En dépit de sa notoriété, le mot goulotte vaut seulement 9 points au Scrabble.
Références :
[1] Cnrtl.fr
[2] https://www.dicolatin.com/Latin/Lemme/0/GULA/index.html
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Goulotte
[4] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/goulotte/37626
[5] de Ligne, Charles Joseph. Coup d’oeil sur Beloeil. De l, 1781.
[6] https://books.openedition.org/pup/16027?lang=fr
[7]https://www.cairn.info/revue-du-nord-2011-1-page-89.htm