Pierre est directeur de recherche au CNRS, en charge – avec son collègue Jean Claude Dutay – de l’équipe de modélisation du climat au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE). À bord du Marion Dufresne il fait partie du quart 4-8.
Quel est le sujet de tes recherches ?
Je suis paléoclimatologue, je m’intéresse aux liens entre géologie, climat et évolution du vivant. Je fais de la simulation numérique du climat et j’utilise des modèles pour comprendre les mécanismes qui sont à l’origine des changements climatiques dans le passé. Pour ma thèse je me suis intéressé au climat d’il y a 7 millions d’années, au temps des premiers hominidés en Afrique, puis, plus j’ai avancé dans ma carrière plus j’ai remonté l’échelle du temps. Maintenant je travaille sur le climat des 100 derniers millions d’années, les relations entre le cycle hydrologique, les plantes et l’atmosphère. Je m’intéresse particulièrement au rôle de l’évolution des plantes sur le changement climatique.
Tu peux nous donner un exemple de cette évolution ?
Oui, la végétation aujourd’hui sur la Terre c’est à 99% des angiospermes, c’est-à-dire des plantes à fleurs. Elles ont connu leur grande période de diversification il y a entre 100 et 130 millions d’années. On ne sait pas pourquoi elles se sont répandues à ce moment mais ce que l’on sait c’est qu’elles ont une capacité à transpirer 5 fois supérieure aux plantes précédentes. Aujourd’hui 75% du flux d’eau qui va du continent à l’atmosphère passe par les plantes. Leur rôle a donc vraiment évolué au cours du temps et si l’on rentre ces changements de physiologie dans un modèle on voit que cela change complètement le climat.
Comment est née la modélisation du climat ?
Au début du 20ème siècle les physiciens ont compris qu’on pouvait mettre en équation les caractéristiques de circulation de l’atmosphère. Avec l’essor des observations et l’arrivée des ordinateurs on a pu avoir des méthodes numériques pour résoudre ces équations et donc avoir les premières prévisions météorologiques dans les années 1950, et puis les calculateurs sont devenus de plus en plus puissants, les modèles de plus en plus élaborés, on est passé des modèles dits “de circulation générale“ à des modèles que l’on appelle “système Terre“ avec toutes les composantes de la machine climatique.
Un modèle “système Terre“ finalement, ce sont des milliers de lignes de code qui cherchent à représenter le moins mal possible le fonctionnement physique de notre planète.
On parle beaucoup des modèles complexes dont les résultats sont synthétisés par exemple comme ceux qui sont utilisés dans les rapports du GIEC mais d’autres sont bien plus simples et tout aussi utiles.
Il faut voir la modélisation du climat comme un éventail de complexité de modèles qui cherchent à “attaquer“ différentes questions scientifiques.
Assez loin des lignes de code, comment vis-tu cette campagne Amaryllis ?
Je la vis comme un disciple ! Pourquoi un modélisateur comme moi participerait à une campagne paléocéanographique qui concerne des échelles de temps qui ne sont pas vraiment les miennes ? Je voulais vraiment voir comment les données étaient acquises sur le terrain, comment on choisit les bons endroits pour les prélèvements, comment on câble une carotte, comment on la descend, la remonte. Je voulais mettre la main à la pâte et pour ça l’expérience est extraordinaire. J’ai participé aussi à d’autres activités comme la mesure des échantillons sur le banc de spectrophotométrie, la cartographie des fonds marins aussi, qui m’a pas mal occupé les derniers jours.
Et puis, il y avait aussi une motivation personnelle : Travailler avec des collègues dans un environnement restreint, face à l’océan c’est fantastique. J’ai conscience que c’est un vrai privilège. Un monde confiné rêvé pour un scientifique !
Propos recueillis par Patrick Chompré